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Écologie et alimentation

Dernière mise à jour : 5 déc. 2024

Les prochains articles que nous partageons sont une avant-première exclusive du prochain numéro de notre magazine EcoMag. Ce numéro met à l'honneur le lien fondamental entre écologie et alimentation, en abordant des thématiques variées telles que l'agriculture durable, les circuits courts, ou encore les impacts environnementaux de nos choix alimentaires. À travers ces articles, nous souhaitons informer, inspirer et proposer des pistes concrètes pour adopter une alimentation respectueuse de la planète. Une belle opportunité d'explorer des solutions durables pour un futur plus vert et gourmand !


Sommaire :

  • La malnutrition : un défi mondial aux multiples facettes

  • L’alimentation : une pratique complexe entre biologie, culture, société et identité

  • Le discours politique sur l'alimentation

  • Qui prépare à manger ?

  • L'alimentation : vers une réflexion approfondie sur les défis actuels


La malnutrition : un défi mondial aux multiples facettes

L’Organisation mondiale de la santé définit la malnutrition comme les carences, excès ou déséquilibres dans les apports énergétiques et nutritionnels d’une personne. Elle inclut à la fois la sous-alimentation, qui provoque amaigrissement, retard de croissance et insuffisance pondérale, et la suralimentation, responsable de surpoids, d’obésité et de maladies non transmissibles telles que les maladies cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux, le diabète et certains cancers. La malnutrition, qui nécessite une prise en charge rapide, touche encore une part importante de la population mondiale : une personne sur neuf souffre de faim, tandis qu’une sur trois est en surpoids ou obèse. Aucun pays n’échappe à cette problématique.


La malnutrition met également en lumière les disparités dans la répartition des ressources alimentaires à l’échelle mondiale. Si les supermarchés des pays riches regorgent de produits variés, certains pays en développement continuent de subir des pénuries alimentaires chroniques. Ce paradoxe persistant entre abondance et insécurité alimentaire a conduit Jean Ziegler, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, à qualifier la gouvernance mondiale en matière d’alimentation « d’Empire de la honte ».


L’état de la malnutrition dans le monde


La famine, phénomène présent depuis l’origine de l’humanité, a marqué l’histoire à plusieurs reprises. En 1347, une crise alimentaire a touché l’Europe, décimant les campagnes et s’ajoutant à l’épidémie de peste noire, causant des millions de décès. Entre 1845 et 1851, la « maladie de la pomme de terre » a provoqué une famine en Irlande, tuant plus d’un million de personnes sur une population de 8 millions. En Ukraine, la collectivisation des terres décidée par le régime stalinien a engendré une famine entre 1932 et 1933, entraînant près de 5 millions de morts. Malgré les progrès réalisés, la faim n’a pas reculé de manière significative. Dès le milieu des années 2010, elle a même regagné du terrain, remettant en question l’espoir d’un déclin durable.


La sous-alimentation, définie comme un apport énergétique insuffisant pour mener une vie saine et active, avait diminué au début du XXIᵉ siècle, passant de 12,3 % de la population mondiale en 2005 à environ 8 % en 2019. Cependant, la pandémie de COVID-19 a aggravé la situation. Les restrictions économiques, particulièrement dans le secteur informel où travaillent de nombreuses populations précaires, ont augmenté le nombre de personnes sous-alimentées de 150 millions en seulement deux ans. En 2021, la sous-alimentation touchait 9,8 % de la population mondiale, soit entre 702 et 828 millions de personnes, selon un rapport de cinq agences onusiennes publié en 2022.


La répartition de la faim est inégale à travers le monde. Plus de la moitié des personnes sous-alimentées se trouvent en Asie, soit 418 millions de personnes, suivies par l’Afrique avec 282 millions, où la prévalence atteint 21 % de la population, soit plus du double des autres régions. En Inde, pays à la fois puissance économique et grand foyer de la faim, 270 millions de personnes souffrent de malnutrition chronique. En Afrique, des pays comme le Nigeria, la Somalie, le Soudan du Sud, le Yémen, l’Éthiopie et le Kenya comptent 38 millions de personnes confrontées à une insécurité alimentaire grave. En Amérique latine, où la faim touche 8,6 % de la population, les inégalités sociales aggravent la situation, notamment en Haïti, pays particulièrement affecté.


Certaines populations sont plus exposées à l’insécurité alimentaire. Les femmes, par exemple, subissent un risque environ 10 % plus élevé que les hommes, en raison des inégalités de genre, qui limitent leur accès aux ressources, à l’éducation et à des moyens de production. Ce cercle vicieux, où la pauvreté et les injustices de genre se renforcent mutuellement, aggrave la situation. Les enfants sont également très vulnérables : selon la FAO, 45 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de formes graves de malnutrition, et 149 millions présentent un retard de croissance en raison de carences nutritionnelles chroniques. Même dans les pays riches, la sous-alimentation persiste, touchant environ 19 millions de personnes, principalement des travailleurs précaires, des chômeurs et des foyers à faibles revenus, ce qui se traduit par une augmentation du recours aux banques alimentaires.


Les causes de la faim


La mondialisation et la libéralisation du commerce agricole ont contribué à l’insécurité alimentaire dans de nombreux pays en développement. En se spécialisant dans les monocultures destinées à l’exportation, ces pays ont délaissé les cultures vivrières nécessaires à leur autosuffisance alimentaire. Confrontés à la concurrence des produits agricoles moins chers importés des pays riches, de nombreux agriculteurs locaux ne disposent pas des moyens nécessaires pour augmenter leur production. Les accords internationaux sur l’agriculture, visant à libéraliser le commerce, ont accentué la vulnérabilité des populations face aux fluctuations des prix sur les marchés mondiaux. Depuis la crise économique de 2008, la spéculation sur les produits agricoles a également contribué à l’instabilité des prix, exacerbant l’insécurité alimentaire.


La pauvreté demeure la cause principale de la faim. Amartya Sen, économiste et lauréat du prix Nobel, explique que la faim résulte davantage d’un manque de revenus que d’une insuffisance de nourriture disponible ou de prix élevés. Dans les démocraties, les famines sont moins fréquentes, car le pluralisme politique et la liberté de la presse permettent de mieux alerter les autorités sur les crises alimentaires. Sen souligne aussi que les inégalités sociales, patrimoniales et politiques exposent davantage les catégories les plus vulnérables à la malnutrition, tandis que les populations aisées, souvent indifférentes, ne subissent pas les conséquences des catastrophes alimentaires.


Les catastrophes naturelles et le changement climatique aggravent l’insécurité alimentaire, en particulier dans les pays en développement où les populations dépendent d’une agriculture sensible aux aléas climatiques. Les sécheresses, les inondations et la déforestation, souvent causées par des pratiques agricoles intensives et insoutenables, renforcent les difficultés des agriculteurs et des communautés rurales. Ce sont les populations les plus vulnérables qui souffrent le plus de ces bouleversements, illustrant l’interconnexion entre les défis climatiques et alimentaires.

L’alimentation : une pratique complexe entre biologie, culture, société et identité

L’alimentation dépasse largement la simple satisfaction des besoins biologiques. Elle est une pratique culturelle, sociale et individuelle, reflétant les structures, les croyances et les transformations des sociétés humaines. Dans cet article, nous explorerons en profondeur les différents déterminants de l’alimentation, en montrant comment ils façonnent les comportements alimentaires au fil du temps et selon les contextes.


Les déterminants culturels de l’alimentation


Normes Alimentaires : Une Délimitation entre le Mangeable et le Comestible

L’alimentation est un domaine profondément marqué par la normativité culturelle. Bien que tous les aliments soient biologiquement mangeables, seules certaines catégories sont considérées comme culturellement comestibles. Claude Fischler souligne que les normes alimentaires fonctionnent comme des règles implicites qui dictent ce qu’il est acceptable de manger. Par exemple, dans certaines cultures, les insectes sont une source de protéines courante, tandis qu’ils sont perçus comme répugnants dans d'autres.


Les interdits et les tabous alimentaires participent également de cette construction culturelle. Ces règles sociales ne concernent pas uniquement le choix des aliments, mais aussi la manière de les préparer et de les consommer. Claude Lévi-Strauss a ainsi conceptualisé le "triangle culinaire", où les catégories de cru, cuit et pourri symbolisent des pratiques universelles, mais interprétées différemment selon les contextes culturels.


Les religions ont souvent érigé des interdits alimentaires pour exprimer et renforcer des identités collectives. Dans le judaïsme, la cacherout fixe des règles strictes sur les aliments autorisés (kascher), en excluant par exemple le porc ou les mammifères qui ne ruminent pas. L’islam suit une logique similaire avec les distinctions entre halal et haram. En revanche, le christianisme s’éloigne de ces interdits, rejetant les distinctions entre aliments purs et impurs, tout en valorisant la modération.


Ces règles dépassent le simple domaine spirituel : elles sont des marqueurs sociaux qui structurent les interactions et les hiérarchies au sein des communautés. La montée des revendications religieuses dans les sociétés contemporaines accentue l’importance de ces distinctions, parfois sources de tensions sociales et politiques.


Les normes alimentaires ont évolué sous l’influence des transformations historiques et économiques. Par exemple, dans l’Occident médiéval, les repas étaient collectifs et peu codifiés. Depuis la Renaissance, des règles de civilité se sont imposées, comme l’usage des couverts ou l’individualisation des portions.

Avec la mondialisation, l’alimentation subit une « mac-donaldisation », selon le sociologue George Ritzer. Les principes d’efficacité, de standardisation et de contrôle dominent la production alimentaire. Cependant, cette influence américaine ne supprime pas les spécificités locales. Les adaptations, comme le burger à la baguette en France, montrent une résistance à l’homogénéisation.


Les déterminants sociaux de l’alimentation


Les progrès technologiques et économiques ont profondément modifié les habitudes alimentaires. La mécanisation et l’industrialisation ont réduit les tâches physiques, limitant les dépenses énergétiques. Parallèlement, les innovations dans la production alimentaire, comme la surgélation ou la conservation à haute température, ont élargi l’accès à une variété d’aliments.


Cependant, l’abondance alimentaire n’a pas éliminé les inégalités. Si les famines sont devenues rares, l’insécurité alimentaire persiste, touchant les populations les plus défavorisées. Paradoxalement, la suralimentation est aujourd’hui plus meurtrière que la malnutrition, illustrant un nouveau défi sociétal.


Les pratiques alimentaires reflètent les hiérarchies sociales et économiques. Pierre Bourdieu, dans La Distinction, montre que les goûts alimentaires sont conditionnés par la position sociale. Les classes supérieures valorisent les aliments considérés comme sains ou rares, comme les produits biologiques, tandis que les classes populaires privilégient des aliments moins coûteux et souvent plus caloriques.


Ces différences sont également visibles dans la consommation de viande, qui diminue progressivement chez les populations urbaines et éduquées, tandis qu’elle reste centrale dans les repas des classes ouvrières. Cette distinction s’inscrit dans un cadre de représentation sociale où les choix alimentaires sont perçus comme des marqueurs de statut.


Les déterminants individuels de l’alimentation


Avec l’émergence de l’individualisme, l’alimentation est devenue un moyen d’expression personnelle. Les choix alimentaires sont souvent le reflet des valeurs, des croyances et des aspirations des individus. Ce phénomène est amplifié par la médicalisation de l’alimentation, qui pousse chacun à adopter des comportements perçus comme bénéfiques pour la santé.


La célèbre maxime « on est ce que l’on mange » illustre cette dynamique, où l’alimentation devient une projection de l’identité individuelle. Cependant, cette individualisation s’accompagne d’une « gastro-anomie », caractérisée par une perte des repères collectifs et une multiplication des injonctions contradictoires, comme la quête de santé versus le plaisir gustatif.


Les régimes alimentaires spécifiques, qu’ils soient motivés par des considérations éthiques, médicales ou environnementales, se multiplient. Le véganisme, le sans-gluten ou encore le flexitarisme redéfinissent les pratiques alimentaires contemporaines. Ces choix, bien que perçus comme des libertés individuelles, remettent parfois en question la commensalité, c’est-à-dire l’acte de manger ensemble.

Les repas partagés, qui renforçaient les liens sociaux, sont aujourd’hui fragmentés. Les alimentations particulières peuvent isoler certains individus ou générer des tensions au sein des groupes. L’adoption de pratiques alimentaires spécifiques transforme ainsi le repas en un lieu de négociation, où s’affrontent valeurs individuelles et collectives.


L’alimentation comme révélateur des transformations sociales


L’alimentation, pratique universelle, est un miroir des évolutions sociales et culturelles. Entre les héritages culturels, les normes sociales et les aspirations individuelles, elle incarne les tensions entre tradition et modernité, collectif et individuel. À travers ses multiples dimensions, elle reflète les défis et les mutations de nos sociétés, tout en restant un pilier central de l’identité humaine.

Ce panorama révèle une constante : manger est bien plus qu’un acte biologique. C’est une affirmation de soi, une interaction sociale et un héritage culturel, au cœur des transformations du monde contemporain.

Le discours politique sur l'alimentation

Comment les hommes et femmes politiques parlent-ils d’alimentation ? Lorsqu’ils parlent d’alimentation, quels sont les sujets abordés ? En partant de citations de différents représentants politiques, cette fiche vise à étudier le « cadrage politique » de l’alimentation. Par « cadrage politique » nous entendons la manière d’aborder l’alimentation. Afin de limiter l’étude de ces citations, cette fiche se concentrera sur la Vème République. Elle n’abordera cependant pas les citations sous un angle chronologique mais thématique. Pour autant, le cadrage de l’alimentation est toujours le reflet d’une époque et des « problèmes politiques » qui traversent le pays et le champ politique à un moment donné. Notons que mettre en évidence un cadrage politique ne signifie pas que ce cadrage est « bon ». La science politique ne vise pas à émettre une opinion sur la politique mais à analyser le pouvoir et les stratégies des acteurs politiques intervenant dans le champ politique.


Un « nationalisme ordinaire »


Valoriser l’alimentation française, c’est valoriser la France. Voilà, en définitive, le premier usage de l’alimentation que l’on peut relever dans le discours politique. Ainsi, un an après son élection en tant que Président de la République, Nicolas Sarkozy porte la candidature de la gastronomie française auprès de l’UNESCO afin qu’elle soit reconnue au rang du patrimoine mondial. Cette idée que la « gastronomie française » révèle « une certaine idée de la France » a été remarquée par plusieurs auteurs, parmi lesquels on peut citer le philosophe Roland Barthes. Dans son ouvrage Mythologies, publié en 1957, ce dernier consacre un article au bifteck : « Comme le vin, le bifteck est, en France, élément de base, nationalisé plus encore que socialisé. (...) Associé communément aux frites, le bifteck leur transmet son lustre national : la frite est nostalgique et patriote comme le bifteck ». Dans son article « Le goût des nôtres : gastronomie et sentiment national en France » (Raisons politiques, 2010), le politiste Vincent Martigny souligne que la cuisine française est un élément de « nationalisme ordinaire ». Par cette expression, il indique que le partage de pratiques routinières, d’actions et la présence de valeurs spécifiques associées à la nourriture française participe à l’identification à la nation. Ce nationalisme ordinaire s’inscrit pleinement dans les mutations du rapport des citoyens à la Nation. Comme le souligne P. Nora : « on a assisté à la transformation du sentiment national historique et militaire en un sentiment national esthétique et sentimental : la France où l’on aime bien vivre plutôt que la nation pour laquelle on doit pouvoir mourir ». Ce « nationalisme ordinaire » participe également à se définir vis-à-vis du reste du monde. Ainsi, la baguette de pain n’est pas simplement un aliment largement consommé, elle est aussi une manière de définir le Français aux yeux du reste du monde. Dans son article, V. Martigny relève que la constitution de ce « nationalisme ordinaire » n’a pas été opérée « par le haut », c’est-à-dire par l’Etat. Cependant, les pouvoirs publics ont pu également jouer un rôle dans les enjeux gastronomiques. Ainsi, en 1990, le Ministre de la Culture Jack Lang fonde le Conseil national des Arts culinaires, dont la mission fut double : à la fois protéger le « patrimoine culinaire » (par exemple en répertoriant les pratiques culinaires présentes sur le territoire) mais aussi réaliser la promotion de ce patrimoine (la création de la « semaine du goût » s’inscrit ainsi dans ce cadre).


Ce Conseil fut remplacé en 2008 par la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires, chargée de constituer le dossier de la France pour inscrire la « gastronomie française » au patrimoine mondial de l’UNESCO.


Il est à noter que l’inscription d’éléments culinaires au patrimoine mondial de l’UNESCO n’est pas un cas unique. A titre d’exemple, la cuisine traditionnelle mexicaine, à base de maïs, haricots et piments chili, a été inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2010. La candidature française se distinguait cependant par le fait qu’elle ne portait pas sur des pratiques précises, ou des aliments en particulier. La définition de la « gastronomie française » adoptée par les pouvoirs publics fut finalement celle de la haute cuisine pratiquée dans les grands restaurants. Cette première définition fut refusée par l’UNESCO dans la mesure où elle ne s’inscrivait pas dans le périmètre de la protection du patrimoine immatériel. Fut finalement retenu le « repas gastronomique français » en tant que « pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes, tels que naissances, mariages, anniversaires, succès et retrouvailles ».


Il est impossible, enfin, d’évoquer la valorisation de « l’alimentation française » sans insister sur le rôle particulier de l’Agriculture dans le paysage politique français. Ainsi, le Salon de l’Agriculture constitue un événement particulièrement scruté et commenté. La déclaration du Président de la République Nicolas Sarkozy, relative à l’inscription de la gastronomie française au patrimoine mondial de l’UNESCO, fut d’ailleurs prononcée lors du Salon de l’Agriculture. Ce « passage obligé » pour les responsables politiques, en particulier en période électorale, peut paraître surprenant tant les agriculteurs constituent aujourd’hui une partie infime de la population et donc du corps électoral : la France compte moins de 400 000 agriculteurs aujourd’hui. La figure de l’Agriculteur demeure cependant symbolique et apparaître lors de cet événement est également une manière de s’adresser à la ruralité en général.


Pauvreté et alimentation


Les années 1980 sont marquées par la montée du chômage et de la pauvreté, venant déstabiliser un modèle social reposant sur le travail. En effet, le système de protection sociale est fondé sur le modèle assurantiel : les salariés cotisent pour financer la Sécurité Sociale et l’assurance chômage, leur permettant d’obtenir des allocations lorsqu’ils rencontrent l’un des risques pris en charge. La montée du chômage – qui fut plus que doublé entre 1975 et 1985 pour atteindre 8,5% - vient perturber ce fonctionnement : un grand nombre d’individus en situation de chômage se trouvent dans l’impossibilité de bénéficier du système de protection sociale faute d’avoir suffisamment cotisé. La problématique de « l’exclusion sociale » émerge dans le débat public : ne pouvant bénéficier de la protection sociale, une partie de la population se trouve exclue de la société.

C’est dans ce contexte que le RMI (Revenu Minimum d’Insertion) fut créé en 1988. Ce revenu vise à offrir un « minimum » pour vivre pour des personnes ne pouvant bénéficier d’allocations. Cette thématique de l’exclusion sociale apparaît clairement dans la justification du dispositif mobilisée par le Président de la République François Mitterrand : « L’important est qu’un moyen de vivre ou plutôt de survivre soit garanti à ceux qui n’ont rien, qui ne peuvent rien, qui ne sont rien. C’est la condition de leur réinsertion sociale ».


La création en 1985 des Restos du cœur s’inscrit également dans ce contexte. Cette aide alimentaire distribuée par une association marque finalement le retour d’une aide alimentaire que l’on pensait devenue inutile avec l’émergence de l’Etat-Providence. Si les associations d’aide alimentaire mises en œuvre dans les années 1980 visaient à pallier les dysfonctionnements de l’Etat, elles sont désormais pleinement partenaires d’une politique publique durablement installée. On estime ainsi que 5 à 7 millions de personnes ont bénéficié en 2020 de l’aide alimentaire. De fait, la question de la pauvreté n’a pas disparu en France, et la problématique de « remplir le frigo » se pose avec une acuité particulière dans un contexte d’inflation alimentaire. En 2022, l’inflation alimentaire a atteint 10% dans les supermarchés. La dernière campagne Présidentielle a ainsi été l’occasion pour les candidats de proposer des mesures pour permettre un meilleur accès à l’alimentation. La mesure phare du Président Emmanuel Macron était la mise en œuvre d’un « chèque alimentaire ». On peut cependant remarquer l’évolution de la finalité associée à la mesure. Dans l’esprit de la Convention citoyenne, ce chèque alimentaire était fléché pour l’achat, par les plus démunis, de produits alimentaires dans des associations pour le maintien d’une agriculture biologique (AMAP). Le contexte d’inflation alimentaire semble avoir réorienté l’objectif vers celui de la lutte contre l’insécurité alimentaire. L’incertitude demeure donc encore aujourd’hui sur le fléchage qui sera opéré concernant ce chèque ainsi que son montant.


L’alimentation au cœur de préoccupations environnementales


En 1974, René Dumont se présentait seul face aux téléspectateurs avec dans la main un verre d’eau. Il cherchait alors à alerter sur l’épuisement des ressources et le dérèglement climatique à venir. Premier candidat écologiste, il ne parvient cependant pas à imposer ses thèmes et n’obtient que 1,32% des suffrages exprimés. Le parti écologiste « Les Verts » fut créé quelques années après cette candidature, qui participa à l’organisation du mouvement écologiste en France. Cet agronome était non seulement engagé dans la cause écologique mais aussi dans la défense du « Tiers-Monde ». Il fut ainsi un critique de la mondialisation et des rapports qu’elle instaure entre les pays du Nord et du Sud. Il fut ainsi un des fondateurs du mouvement Attac, organisation altermondialisme.


Dans les années 1990, on retrouve une conjonction entre des enjeux liés à la mondialisation et l’écologie avec la question des OGM.


Parmi les activistes de la Confédération Paysanne, la figure de José Bové s’impose peu à peu dans le paysage politique. Le discours de cet activiste, issu d’un milieu bourgeois et devenu paysan par conviction politique, s’articule autour d’une critique des multinationales et de la défense d’une agriculture dite « paysanne ». Mais c’est véritablement à partir de 1999 que José Bové pénètre dans l’espace médiatique en menant le démontage d’un restaurant McDonald’s, à la suite de l’instauration d’une surtaxe sur le Roquefort par les Etats-Unis. Il s’agit alors de défendre les producteurs de lait de brebis et dénoncer les effets de la mondialisation sur l’agriculture française. Il déclare alors : « McDo est le symbole de ces multinationales qui veulent nous faire bouffer de la merde et qui veulent faire crever les paysans ». José Bové devient progressivement l’une des figures de l’altermondialisme français. Il se présente aux élections présidentielles en 2007 (il obtient alors 1,35% des suffrages) avant de rejoindre en 2009 le parti politique Europe Ecologie et devenir député européen. On observe ainsi une forme de convergence entre des mouvements altermondialistes et écologistes, la défense d’une agriculture locale et moins intensive étant l’un de ces points de convergence.


Progressivement, l’alimentation s’est imposée en tant qu’enjeu politique, dépassant la simple question agricole. En effet, l’engagement politique ne porte pas seulement sur la question de la production mais aussi sur celle de la consommation, notamment de la viande. En 2017, le candidat de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon apparaît à l’occasion d’une interview pour Gala en train de cuisiner une salade de quinoa. Il cherche alors à politiser son repas en déclarant soutenir la réduction de la consommation de protéines carnées et la lutte contre la souffrance animale. Mais la question de l’alimentation se fait plus prégnante encore lors de la campagne en 2022. Si la question de la consommation alimentaire est davantage présente dans les discours et programmes des candidats de gauche, elle ne fait pas pour autant consensus. Ainsi, tandis que Yannick Jadot, candidat pour Europe Ecologie Les Verts, soutient la réduction de la consommation de viande, le candidat communiste Fabien Roussel multiplie les déclarations sur son attachement à la viande : « un bon vin, une bonne viande, un bon fromage, pour moi c’est la gastronomie française ». Cette déclaration n’est ainsi pas sans rappeler un cadrage politique de l’alimentation déjà évoquée dans cette fiche, à savoir une forme de « nationalisme ordinaire ». L’opposition entre ces deux fractions de la gauche est également apparue après la campagne présidentielle à la suite de la déclaration de Sandrine Rousseau associant la consommation de viande à la virilité. S. Rousseau s’inscrit ainsi dans le mouvement de « l’écoféminisme » associant la lutte contre le capitalisme à celle contre la domination masculine. La question de la consommation de viande est ainsi un facteur de dissensus au sein des partis de gauche. Elle témoigne, plus largement, de la prégnance des enjeux culturels dans les clivages politiques contemporains, démontrant que l’opposition ne se fait plus aujourd’hui uniquement sur des questions économiques.


Il convient de souligner, pour finir, que la question animale ne se limite plus aujourd’hui à celle de la consommation de viande. La montée des mouvements antispécistes et de la prise en compte de la souffrance animale a fait entrer dans la sphère politique de nouveaux acteurs. Ce fut d’abord des associations telles que L214 qui a acquis une audience médiatique en diffusant des vidéos révélant les conditions d'abattage. En 2016, le Parti Animaliste est créé, notamment par d’anciens membres de l’association L214. Il est l’une des surprises des élections européennes en 2019 en obtenant presque autant de voix que le Parti Communiste en réunissant 2,2% des scrutins en France. Manger des animaux ne se résume donc plus seulement à une question environnementale dans le débat politique mais aussi, et de plus en plus, à un enjeu éthique.

Qui prépare à manger ?

Dans son ouvrage La domination masculine, Pierre Bourdieu écrit en 1998 : « Les mêmes tâches peuvent être nobles et difficiles, quand elles sont réalisées par des hommes, ou insignifiantes et imperceptibles, faciles et futiles, quand elles sont accomplies par des femmes ; comme le rappelle la différence qui sépare le cuisinier de la cuisinière, le couturier de la couturière, il suffit que les hommes s’emparent de tâches réputées féminines et les accomplissent hors de la sphère privée pour qu’elles se trouvent par-là ennoblies et transfigurées... ». Entre règle de l’art et soin des autres, espace domestique et public, la préparation des repas est encore aujourd’hui largement inégalitaire tant dans les pratiques que dans les représentations. Il conviendra dans cette fiche de rendre compte des multiples logiques de domination à l’œuvre dans la préparation des repas : de l’acte quotidien visant à subvenir à un besoin à celui érigé comme véritable art et notamment reconnu au patrimoine

mondial de l’UNESCO.


La division genrée du travail culinaire domestique


Les enquêtes Emploi du temps de l’INSEE révèlent toujours une inégalité criante dans le temps de cuisine. Ainsi, en moyenne, le temps de cuisine des femmes est passé de 1 heure 12 minutes par jour en 1975 à 54 minutes en 2010. Pour les hommes, il est passé de 16 à 20 minutes par jour. La préparation culinaire dans son vaste ensemble reste largement « une affaire de femmes » : listes de courses, conception des menus, préparation des repas, cuisson, etc. Si les hommes tendent à s’investir sensiblement davantage, il convient par ailleurs de constater que c’est surtout lors de moments partagés et rarement solitaires. L’engagement masculin dans la préparation culinaire familiale s’inscrit ainsi généralement dans l’idée de créer une expérience commune familiale, qui mobilise également les enfants lorsqu’il y en a. En outre, on peut observer des différences d’organisation conjugale et de division du travail alimentaire en fonction du milieu social. En effet, les salariés sont ainsi plus égalitaristes que les professions indépendantes, ce d’autant plus à mesure que le niveau de diplôme et de salaire de leur conjointe s’élève.


La cuisine domestique, travail invisible et non rémunéré, demeure donc un domaine et un espace essentiellement féminin bien qu’elle bénéficie à l’ensemble des membres du ménage. Un premier élément d’explication est la dimension affective, regroupée sous la logique de care (soin apporté aux autres) qu’implique la préparation des repas. Ainsi, les proches jouent un rôle important dans le maintien de l’assignation de ce rôle aux femmes à travers les sanctions et gratifications émotionnelles (compliments, mines renfrognées, etc.) à

destination des femmes. Pour les femmes, le travail domestique alimentaire est donc un support émotionnel dans l’équilibre des liens familiaux, puisqu’elles tirent une gratification symbolique du soin apporté à leur famille. En outre, à mesure que l’alimentation se transforme en enjeu de santé, les femmes sont identifiées comme gardiennes de la santé et de l’alimentation familiale, et ce d’autant plus dans les catégories supérieures. En effet, un rapport différencié à l’alimentation, entre plaisir pour les hommes et enjeu de santé pour les femmes, implique que la responsabilité de prendre soin de la famille et d’assurer une alimentation digne du statut social incombe aux femmes, dans la mesure où ces enjeux sont

moindres pour les hommes (et enfants), qui ne sont pas jugés sur ces critères.


Les cuisiniers professionnels : un espace social hiérarchisé


Les enquêtes menées en lycée hôtelier ou auprès de professionnels de la restauration collective démontrent qu’un seul modèle de réussite y est diffusé : celui du chef cuisinier. Ainsi, si l’activité culinaire connaîtrait un processus de revalorisation par la forte expansion d’une presse spécialisée ou encore les nombreuses émissions télévisées à succès dans ce domaine, elle tend à installer l’activité culinaire comme une activité légitime culturellement, mais ce toujours à travers la figure charismatique du chef. Les chefs, pourtant largement minoritaires en nombre, accapareraient ainsi l’ensemble des rétributions symboliques et matérielles. Cela trouverait sa cause dans divers facteurs, au premier rang desquels la constitution de leur clientèle dont le prestige rejaillirait en écho sur les chefs cuisiniers. Adoubés par une bourgeoisie détentrice de la légitimité des pratiques culturelles, leur pratique ne serait alors plus un simple emploi, mais érigé au rang d’art. Ainsi, les chefs apprécient la critique des clients, non seulement lorsqu’ils sont jugés « connaisseurs », mais aussi et surtout dès lors que leur statut social est élevé. Cet espoir de côtoyer les grands, d’être repéré, s’explique et se retrouve d’autant plus que les élèves en formation d’hôtellerie-restauration sont généralement issus des classes populaires et ont connu une orientation par défaut davantage que choisie. L’activité de chef cuisinier constitue donc l’espoir de promotion sociale par l’accès à l’art culinaire, symbole d’une culture supérieure et légitime, la mise au service des classes dominantes, et la négation des pratiques de sa classe d’origine. Une autre explication se retrouve dans la norme dominante de la formation en lycée hôtelier, dont les enseignements, selon la logique « qui peut le plus peut le moins », sont centrés sur les pratiques attendues dans les établissements gastronomiques, qui constitueraient le modèle d’excellence de la profession.



À l’intersection des enjeux de genre


Si l’enquête Emploi de l’INSEE témoigne de 48% de femmes nouvellement recrutées entre 2009 et 2015 dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, elles ne sont plus que 28% lorsque l’on regarde les cuisiniers, et seulement 17% parmi les chefs cuisiniers. Cela est pourtant paradoxal lorsque l’on voit la persistance de l’assignation à la cuisine des femmes dans l’espace domestique. En toute logique, elles auraient dû bénéficier d’un avantage par les compétences acquises lors de la socialisation et dans l’espace domestique. Pourtant, il s’agit là d’un métier qui s’est constitué et anobli dans une logique de distinction par l’exclusion volontaire des femmes. Ainsi, En 1893 à Paris, au cours d’un congrès de la Chambre syndicale ouvrière, les cuisiniers se déclarent opposés à l’admission des femmes comme apprenties dans les grandes cuisines. Si, aujourd’hui, les femmes accèdent au lycée hôtelier, elles se retrouvent essentiellement dans les formations de service, plus proches de la logique de care (soin des autres) traditionnellement dévolue aux femmes. Elles y sont ainsi majoritaires alors qu’elles sont minoritaires en spécialité cuisine, et la plupart d’entre elles en spécialité cuisine se retrouvent orientées vers le domaine de la pâtisserie. Le moindre contact avec la clientèle en cuisine, la construction d’un imaginaire viril et militaire comme on l’a spécifié plus haut, ne sont pas sans lien avec l’auto-exclusion des femmes dans ce domaine. Enfin, des dispositions incorporées lors de la socialisation d’ordre et de discipline peuvent être relevées chez les filles présentes en filière cuisine, telles que des enfants de militaires ou de parents spécialisés dans le maintien de l’ordre.



Conclusion 


Préparer à manger ne peut être réduit au simple accomplissement d’un besoin physiologique, tant la division du travail alimentaire se comprend à l’intersection de nombreuses logiques de classe, de race et de genre. Preuve de soin à ses proches ou aux autres, voie d’ascension sociale, de reconnaissance ou de prestige sont autant de logiques à prendre en considération dès lors que l’on étudie pleinement cet acte paraissant pourtant si quotidien et banal.


L'alimentation : vers une réflexion approfondie sur les défis actuels

L’alimentation, élément fondamental de la survie humaine, est aujourd’hui au cœur de multiples enjeux. Elle illustre les interactions complexes entre les besoins humains, les cultures, les structures sociales et l’environnement global. Ce texte propose une analyse détaillée et approfondie des thèmes explorés dans les documents, en suivant leur structure pour éclairer les problématiques contemporaines.



I. La place de l’alimentation dans le changement global


1. Agriculture et réchauffement climatique

Depuis l’invention de l’agriculture, les activités humaines modifient profondément le climat terrestre. L’émergence de pratiques agricoles a marqué l’entrée dans l’Anthropocène, une ère où l’homme exerce une influence dominante sur les écosystèmes (voir EcoMag 5). Les analyses des carottes glaciaires montrent une augmentation des concentrations de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) dès le début de l’Holocène, il y a environ 12 000 ans.


Cependant, ces émissions ne sont pas constantes : des périodes historiques, comme la reforestation massive après le déclin démographique des populations autochtones en Amérique post-1492, ont entraîné une baisse temporaire des émissions. Cela démontre l’impact direct de l’agriculture sur les cycles climatiques. Aujourd’hui, l’agriculture est responsable de 20 à 30 % des émissions globales de gaz à effet de serre, une contribution exacerbée par des pratiques intensives comme le labour profond et l’utilisation massive de combustibles fossiles.


2. Agriculture et déforestation

La déforestation, étroitement liée à l’agriculture, constitue l’un des facteurs majeurs de dégradation des écosystèmes. Dès le Moyen Âge, les "grands défrichements" ont réduit les surfaces forestières pour répondre aux besoins croissants de l’agriculture. Dans les régions tropicales, les pratiques agricoles sur brûlis permettaient autrefois une régénération des forêts, mais l’augmentation de la densité de population a réduit les périodes de jachère, empêchant le renouvellement des sols et des écosystèmes forestiers.


Depuis 1990, près de 420 millions d’hectares de forêts ont été détruits, en grande partie pour l’agriculture. L’élevage, notamment en Amazonie, et les cultures de rente, comme le cacao et le café en Afrique, contribuent largement à cette dynamique destructrice. Cette pression agricole fragilise les forêts tropicales humides, pourtant essentielles pour la régulation climatique mondiale.


3. L’extension de l’agriculture industrielle

À partir de 1850, l’agriculture industrielle a révolutionné les pratiques agricoles en Amérique du Nord, avant de s’étendre à l’Europe et aux régions tropicales via la "Révolution verte". Cette transition repose sur trois éléments clés : premièrement, les variétés à haut rendement, qui augmentent la production mais nécessitent des intrants chimiques. Ensuite, les engrais azotés, issus des hydrocarbures, dont la production intensifie les émissions de gaz à effet de serre. Enfin, la mécanisation, qui réduit la main-d'œuvre nécessaire mais alourdit l’impact écologique.


Malgré ses avantages en termes de productivité, ce modèle aggrave les inégalités sociales et environnementales en exploitant massivement les ressources naturelles.


4. Impact environnemental de l’agriculture intensive

Les pratiques agricoles intensives ont des répercussions négatives sur l’environnement. Par exemple, le labour expose le carbone du sol à l’air, favorisant son oxydation en CO2. Les tracteurs, consommant jusqu’à 40 litres de carburant aux 100 kilomètres, ajoutent une charge énergétique importante. De plus, l’élevage des ruminants émet du méthane, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2.


Les engrais chimiques et les pesticides entraînent une pollution importante des sols et des eaux, affectant les écosystèmes et la santé humaine. En Bretagne, par exemple, les nitrates provenant des déjections animales provoquent des marées vertes, tandis que l’usage de produits toxiques, comme le chlordécone dans les Antilles, a des conséquences durables sur la biodiversité et la santé publique.



II. Quels modèles agricoles face au dérèglement climatique ?


1. Réformes des politiques agricoles

Historiquement, les politiques agricoles ont favorisé le productivisme. Dès les années 1960, la France, via le remembrement, a modernisé ses exploitations pour répondre à une demande croissante. Cependant, ce modèle a souvent ignoré les enjeux environnementaux.


Depuis les années 1990, les réformes de la Politique Agricole Commune (PAC) ont introduit des mesures environnementales, comme les jachères obligatoires et les subventions pour des pratiques respectueuses de la nature. Ce tournant illustre une prise de conscience progressive de l’urgence écologique dans le secteur agricole.


2. Nouvelles pratiques agricoles

Des alternatives émergent pour réduire les impacts de l’agriculture, comme l’agriculture sans labour qui préserve les sols, réduit l’érosion et limite les émissions de CO2. L’agroforesterie combine aussi arbres et cultures pour améliorer la biodiversité, enrichir les sols et capter le carbone atmosphérique.


Ces techniques, bien qu’efficaces, nécessitent des investissements initiaux élevés et des changements dans les mentalités agricoles.


3. Lutte contre le gaspillage alimentaire

Dans les pays développés, 20 à 25 % des aliments sont gaspillés. Ce gaspillage, souvent dû à des exigences esthétiques ou des habitudes de surconsommation, génère une empreinte écologique importante. Des solutions comme la redistribution des invendus ou des campagnes de sensibilisation pourraient réduire ces pertes.



III. Enjeux de l’eau et alimentation : Une ressource sous tension

L’eau est indispensable à l’agriculture, mais elle est aussi une ressource finie et inégalement répartie à travers le globe. Dans un contexte de changement climatique et d’accroissement de la population mondiale, la question de sa gestion devient cruciale pour l’alimentation humaine.


1. Ressources en eau et défis agricoles

L’agriculture est responsable de 70 % des prélèvements en eau douce à l’échelle mondiale. Cette dépendance met en lumière le rôle stratégique de cette ressource dans la production alimentaire. Dans les régions arides, comme le Moyen-Orient ou l’Afrique du Nord, l’agriculture irriguée repose souvent sur des nappes fossiles, des réserves souterraines non renouvelables datant de plusieurs millénaires. Leur exploitation non durable compromet l’équilibre hydrologique de ces régions.


Dans d’autres zones, comme l’Asie du Sud-Est, les systèmes d’irrigation traditionnels subissent une pression croissante en raison de la transformation des pratiques agricoles et de l’urbanisation rapide. Par exemple, les rizières irriguées, essentielles à la sécurité alimentaire de millions de personnes, sont menacées par la réduction des précipitations et la salinisation des sols.


2. Pollution de l’eau par les activités agricoles

Les pratiques agricoles intensives, notamment l’usage excessif d’engrais chimiques et de pesticides, polluent les nappes phréatiques et les cours d’eau. En France, les régions comme la Bretagne sont particulièrement touchées par les nitrates issus des déjections animales. Ces pollutions entraînent des conséquences graves, telles que la prolifération d’algues toxiques ou l’asphyxie des écosystèmes aquatiques.


Des cas plus extrêmes, comme l’utilisation du chlordécone dans les Antilles, montrent à quel point ces substances peuvent s’accumuler dans l’environnement. Ce pesticide, utilisé dans les bananeraies, a contaminé les sols et les cours d’eau pendant des décennies, impactant durablement la santé humaine et la biodiversité locale.


3. Vers une gestion durable des ressources en eau

Face à ces défis, plusieurs solutions innovantes émergent pour garantir un usage plus rationnel et durable de l’eau. Par exemple, la micro-irrigation. Cette technique permet une distribution précise de l’eau, réduisant les pertes par évaporation et infiltration. Elle est particulièrement adaptée aux régions arides. Le recyclage des eaux usées constitue aussi une alternative prometteuse, ainsi que la désalinisation. Bien que coûteuse en énergie, cette technologie offre une solution viable pour les zones côtières où l’accès à l’eau douce est limité.


Ces initiatives, combinées à une gestion intégrée des bassins versants, peuvent contribuer à préserver cette ressource précieuse tout en répondant aux besoins croissants de l’agriculture.



IV. Réserver l’agriculture à la production alimentaire : enjeux et controverses

Avec l’émergence des usages non alimentaires des produits agricoles, tels que les bioénergies et les agrocarburants, une question essentielle se pose : la terre doit-elle être prioritairement réservée à la production alimentaire ?


1. La Méthanisation : Une opportunité sous surveillance

La méthanisation, qui consiste à transformer les matières organiques en biogaz, est une technologie présentée comme vertueuse. Les déchets agricoles, comme les fumiers ou les résidus de cultures, sont placés dans un digesteur où ils fermentent pour produire du méthane. Ce gaz peut ensuite être utilisé pour générer de l’électricité, alimenter des véhicules ou être injecté dans les réseaux de gaz naturel.


Les avantages de la méthanisation sont nombreux : elle valorise les déchets agricoles tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ; elle génère des revenus supplémentaires pour les exploitants agricoles ; elle produit des digestats, résidus solides utilisables comme fertilisants, qui sont souvent moins polluants que les engrais conventionnels.


Cependant, des dérives sont observées. Pour maximiser la rentabilité des unités de méthanisation, certains agriculteurs choisissent de cultiver du maïs spécifiquement destiné à la production de biogaz, détournant ainsi des terres agricoles de leur usage alimentaire. Ce phénomène, observé en France et ailleurs, a suscité des critiques, car il exacerbe la concurrence entre usages alimentaires et énergétiques des terres.


2. Les agrocarburants : Une alternative controversée

Les agrocarburants, comme le biodiesel ou le bioéthanol, sont produits à partir de cultures telles que le colza, le maïs ou la canne à sucre. Ces carburants, censés offrir une alternative aux énergies fossiles, posent néanmoins plusieurs problèmes. Impact environnemental : La production d’agrocarburants repose souvent sur des monocultures intensives, nécessitant des quantités importantes d’engrais et de pesticides. De plus, certaines études montrent que leur bilan carbone est parfois pire que celui des carburants fossiles. Déforestation : L’expansion des cultures pour agrocarburants, notamment de l’huile de palme, contribue à la destruction des forêts tropicales en Asie du Sud-Est et en Amazonie.  Conflits éthiques : Utiliser des terres agricoles pour produire de l’énergie soulève une question cruciale dans un monde où près d’un milliard de personnes souffrent de la faim.


Une alternative pourrait résider dans les biocarburants de deuxième génération, fabriqués à partir de déchets organiques ou de cultures non alimentaires, mais leur développement reste limité par des contraintes techniques et économiques.


Conclusion : une réflexion nécessaire sur les usages agricoles

Les usages non alimentaires des terres agricoles mettent en lumière la nécessité de prioriser les ressources en fonction des besoins globaux. Si les bioénergies et les agrocarburants offrent des solutions partielles à la crise énergétique, leur impact sur l’alimentation mondiale et l’environnement ne peut être ignoré.

Repenser l’agriculture, c’est non seulement repenser ses modes de production, mais aussi son rôle dans la transition écologique et sociale. Des choix stratégiques doivent être faits pour garantir une utilisation équilibrée et durable des terres, en plaçant les besoins alimentaires au cœur des priorités.



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